par Lay Zee
pour les Quarantaines Chroniques
« Choisissez un travail que vous aimez.
— Confucius
Vous n’aurez plus jamais à travailler. »
En hommage à Boris Vian, 10 mars 1920 @ 23 juin 1959.
C’est pas pour me vanter,
mais je crois bien deviner
que j’ferais un bon rentier.
Mon expérience réussie
de ce confinement forcé
est là pour en témoigner.
Contrairement à la croyance populaire, toute cette histoire de Coronavirus, Quarantaine et autres « Complots cachés » (sic) a été une bénédiction déguisée. À tout le moins pour qui s’est vraiment donné la peine de s’arrêter, d’en profiter.
Certes, j’adresse d’entrée de jeu mes plus sincères sympathies aux famille des victimes et à tous ceux, encore plus nombreux, qui ne savent pas s’occuper – y compris à ne rien faire… Serge Bouchard avait raison – comme toujours : il faut réapprendre – à ne rien faire. Rien!
C’est pas vraiment que je sois paresseux, mais je n’aime pas perdre mon temps.
Avant le confinement, entre toutes ces conneries de métro-boulot-resto-dodo,
mon cœur balançait tellement que j’en avait la nausée à longueur de journée.
Personnellement, la quarantaine m’a permis de revivre et renaître de mes cendres. Pour la première fois depuis ma puberté, j’ai enfin pu ralentir le rythme, me recentrer sur l’essentiel, et même renouer avec de vieux rêves. Comme celui d’être rentier.
C’est pas tant que j’aime pas travailler, trimer dur comme on dit,
mais je préfère encore me la couler douce.
Rien de neuf, du reste.
Un Vieux Rêve de Jeunesse
– Et toi tu feras quoi petit quand tu seras grand?
– Rentier! que j’lui ai rétorqué sans broncher.
– Rentier? Mais… c’est pas un métier, ça!
– Non. C’est une Profession…de foi!
– Ah…
Il était visiblement désorienté, l’orienteur.
Ça déstabilise toujours, la confiance, les convictions. Surtout chez un adolescent.
C’est souvent comme ça chez ceux qui ne savent pas mieux, à qui ça fait défaut…
On craint ce con, ce qu’on ignore dis-je bien, ce qu’on aimerait mais ne possède pas.
– Tes tests disent pourtant autrement… qu’il a balbutié en se fourrant le nez dans ses papiers. J’en ai profité pour m’éclipser… et le laisser tirer tout ça au clair. C’est son métier, après tout.
N’empêche, je n’étais guère plus avancé. Parce que le problème, c’est que rentier, ça ne s’apprend pas à l’école – comme pratiquement tout le reste, d’ailleurs. Du coup, par où commencer? Comment procéder? J’ai donc fais mes recherches, plutôt que d’étudier.
La clef, pour être rentier, c’est… la rente. Or pour toucher des rentes, ça prend d’abord un revenu – d’investissement, d’intérêt (idéalement composé) et assimilés.
Pour l’héritage, faudra repasser – « et pas que votre chemisier! » comme me l’avait précisé le notaire entre deux éclats de rires. Dommage. Comme mon père avant moi, je misais beaucoup là-dessus pour me « refaire » une retraite dorée de rentier.
Apparemment, papa n’avait pas su mieux gérer le patrimoine familial que ses propres (im)pulsions et autres « intuitions » à la con. Je me rappelle encore ses dernière paroles : « Cette fois c’est la bonne! » qu’il avait clamé avant de se faire abattre à sa sortie du casino.
À propos de la dépendance de papa, deux petites précisions s’imposent. Primo, dans le dicton « la maison gagne toujours », sachez qu’il est question de la « maison de jeu, » pas du « foyer familial » – premier perdant. Deuzio : non, les jeux de gageure ne sont pas « juste » un « jeu. » Surtout que la compulsion vire vite en convulsions…
Quant à maman, elle avait siroté, que dis-je, siphonné tout ce que grand-père avait gagné avant elle à la sueur, aux larmes et au sang de son front. Une sacré soiffarde, sa fille. Tellement qu’elle avait suivi de peu mon aïeul dans sa tombe.
– C’est le foie, qu’avait précisé le médecin-légiste en relevant le drap sur son visage – celui de maman, bien sûr, aussi livide dans sa mort que de son vivant – et sur mes rêves déchus de rentier.
Un héritage, c’est comme la chance, la liberté et autres bénédictions assimilés : c’est facile à dilapider. Certes, il paraît qu’un secret de famille aurait pu tout expliquer ce gâchis, mais mes parents ont emporté les deux dans leur tombe – le secret comme l’héritage.
Du coup, avec leur mort « prématurée » (sic), mes rêves de rentiers s’amenuisaient déjà de moitié. La clef, c’est de savoir de retourner. Surtout à temps. Les moyens de ses ambitions, c’est comme les ballons : c’est fait pour rebondir.
Plans B, C & G
Sans patrimoine, ça me laissait les placements. Or, pour faire un placement, ça prend précisément… de l’argent. Je le sais, je me suis bien informé. Apparemment, les banquiers ne prennent pas les seules déclarations de bonnes intentions en dépôt, garanties et compagnie.
Au fond, je les comprends. Comment pourraient-ils se payer la Lambo, le bateau et ce pseudo-château au bord de l’eau? C’est sûrement pas avec vos vœux pieux qu’ils vont s’envoyer en l’air aux Îles Vierges avec leur vieille vipère rafistolée…
Tiens oui, je n’y avais pas pensé. Pourquoi pas gigolo?
– Quoi… Mais c’est pas un métier, ça!
Non, mais c’est un bon échange de procédé – gagnant-gagnant.
« Prostitution légale », comme disait mon prof de droit. L’inverse est pourtant courant…
N’empêche, c’est pas rigolo, le boulot de gigolo. Je le sais. J’ai bien essayé, mais ça n’a jamais marché. Comme quoi les seules intentions ne suffisent pas à nourrir sa gourmande. Vous connaissez le proverbe : « La vulve ment – et vent – mieux que la verge… » J’avoue.
Du coup, sans un sou, sans argent ni aucun trou doré à investir, que me restait-il?
– T’as pas pensé à te servir, je ne sais pas moi… de ta cervelle, ta matière grise!?
Mais oui… Merci! Voilà enfin un vrai ami : celui qui vous dit les vraies choses.
Ça paraît peut-être pas comme ça, mais faut être rusé pour faire un bon rentier.
Je pourrais toujours vivre de mon art, ou de mon génie…
Or le défi avec les droits d’auteur, c’est pas tant les droits en soi que l’auteur per se.
Car avant avant de vivre de ses redevances, l’écrivain, comme l’inventeur, doit d’abord créer. Écrire une chanson ou un bouquin. Inventer quelque chose, je sais pas moi, n’importe quoi…
Ceci dit, c’est pas tout de pondre une invention de génie ou non, une « œuvre d’art » digne de ce nom. Encore faut-il la vendre – pour enfin arriver à en vivre. Et ça, ça ne se fait pas tout seul. Il faut des techniques, et toute une équipe de marketing, de service après-vente…
Non, ça a l’air le fun, facile et tout d’être rentier, mais faut pas croire. C’est comme on dit. Il est bien beau le Kilimanjaro. Il a l’air bien gentil le mont Fuji. Surtout d’en bas. De loin. Mais c’est sur le chemin escarpé que ça commence à gîter et cogiter : « Tout ça pourquoi? »
À Quoi Bon?
Rentier, mais pour quoi faire?
– Comment comptez-vous occuper vos journées!?
Il avait l’air ennuyé, le conseiller. Désarçonné, ça c’est certain.
– De l’équitation? que j’ai hasardé. Que sais-je? Tout plutôt que travailler!
Ça n’a pas eu l’air de le convaincre. Il craignait pour ma santé mentale, le pauvre.
– Qu’importe, que j’ai renchéri. Je ne vais quand même pas attendre la quarantaine pour—
– Vous savez que l’âge de la retraite a été fixé à soixante-cinq ans, pas quarante…
Je ne lui ai pas laissé le temps de finir. J’avais déjà détallé au galop.
Il aura suffit d’une pandémie pour me mettre à l’essai.
Bonne question, somme toute accessoire, secondaire, mais pertinente…
Que faire de tout ce temps nouvellement disponible!? Aucune idée. Trop occupé. À l’année! Mais une fois rentier, ça me laissera au moins tout le temps d’y penser.
En attendant, me voilà guère plus avancé. La clef, je crois, c’est de bien se préparer. Parce que dans deux, dix ou trente ans, les doigts de pied en éventail aux Îles Caïman, tu te diras : Boris Vian, avait raison.
– Ah bon, et à quel sujet?
À propos de beaucoup de choses – y compris de l’amour et la liberté, la musique, les critiques et la politique, mais surtout du travail.
– Plaît-il?
Pas du tout. À preuve, « le paradoxe du travail, c’est que l’on ne travaille, en fin de compte, que pour le supprimer […] Il n’est pas possible de regarder un travailleur sans maudire ce qui a fait que cet homme travaille, alors qu’il pourrait nager, dormir dans l’herbe, ou simplement lire ou faire l’amour avec sa femme. » Pas fou, pas faux. Bien vrai, en fait. Bref, tout le contraire de ce que je fais à longueur d’année.
Moi je dis merci, et bravo Boris Vian!
Vive le Covid, le Coronavirus, ou quel que soit son nom de jeune fille.
Ce petit moment de confinement m’a offert un congé forcé, un repos fort bien mérité. Pour méditer. Et surtout pour planifier ma retraite dorée. Parce que rentier, c’est pas donné…
– Tout ce qu’il te faut, c’est une bonne idée.
Si seulement… Et encore, il faut la réaliser.
Or, « il n’y a rien de plus vulgaire qu’une idée » disait Baudelaire – ou Flaubert.!?
Vous avez allumé la télé? C’est pourtant pas ce qui manque – les idées, comme la vulgarité. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai accouché de mon dernier-né baptisé North by Nudist. Concept simple, canon : un club de naturisme… au Nunavut!
Avec le réchauffement climatique, ça va cartonner.
Mais bon, vous connaissez la chanson.
Faut prendre les moyens de ses ambitions. LAFortune sourit aux audacieux, dit-on. Et cetera.
Bon, c’est bien beau tout ça, mais je dois déjà vous quitter.
L’aspirant rentier doit déjà retourner bosser.
Saleté de dé-confinement.
Les gens sont si pressés…
« La vocation, c’est avoir
– Henri ‘Stendhal’ Beyle
pour métier sa passion. »