Le Voisin

Par L. Voisine

Série: Quarantaines Chroniques

Le plus dur en ville, c’est bien sûr… les VOISINS! Déjà pénibles en temps « normal », ils deviennent vite carrément insupportables en quarantaine! On s’étonnera d’ailleurs que le taux de mortalités suspectes (suicides, homicides et assimilés) n’ait pas grimpé en flèche pendant cette période de réclusion forcée. Parce que le pire, c’est pas tant le confinement que la co-habitation.

Tout le monde se plaint de ses voisins, hein.!? « Des vrais fantômes… On les voit jamais… » Eh bien, tant mieux — pour eux! Tu les as pas encore rencontré que déjà tu voudrais leur arracher la face. Ou au moins la leur replacer.

Parce que les voisins, tu les vois peut-être pas… mais tu les ENTENDS, pis pas rien qu’à peu près! Même pas besoin d’écouter; les murs sont en papier anyway… Qui a dit que « la paix n’a pas de prix« , hein!? Ben c’est FAUX! Ça coûte 500 000 piastres, pis ça s’appelle un con-do! Normal: le bill va avec le deal. « Béton, ou carton? »

Bienvenue à bord!

Moi, la première nuit que j’ai passé dans mon trou, dans mon 3 pièces et demi en papier mâché dis-je bien, j’ai rêvé que je me faisais piétiner par un défilé de bisons des prairies, toé! Quand j’ai fini par me réveiller en sursaut, j’ai vite compris que c’était pas juste un mauvais rêve. Non! Le cauchemar continuait — live! On aurait dit un tremblement de terre tellement ça shakait!

C’est là que j’ai compris l’expression de ma grand-mère, « mener du train! » Heille! C’est à croire qui passait carrément dans mon salon, le train. Pourtant, le proprio m’avait rassuré: « Tu vas voir: pas de train, pas de métro. C’est tranquille dans l’coin. » Ouin! Pis DEDANS? Ça, il avait pas trop l’air au courant. Il préférait l’argent comptant.

En fait, le problème en appartement, c’est pas tant les voisins… que LE voisin! Surtout celui du dessus! Parce qu’un plafond pour toé, c’est un plancher pour l’autre… Pis y est rarement aussi ÉPAis que celui qui pioche dessus. En fait, ce qui vous sépare est juste assez dense pour entendre, et même sentir vibrer… mais pas pour défoncer! Dommage, parce que voir le voisin d’en haut atterrir dans mon salon, j’y aurais bien appris à valser, moé!

À l’oreille, j’y donnais un gros deux, trois cents kilos. On aurait dit un lutteur sumo. J’aurais pu mieux tomber, je sais pas moi… sur un ninja, par exemple. J’ai rien contre les Chinois… loin de là! Déjà, ils sont petits, légers, discrets. Ils ont le pas de feutré, et le sens du respect. Disons qu’on est loin de l’Américain moyen…

Mais non! Mon voisin d’en haut, lui, y avait pas seulement le pied pesant. J’étais sûr que j’avais affaire à une tribu indigène au grand complet tellement ça grouillait. Vous savez, danse traditionnelle, tambours, pieds tapants et tout le tralala. Passe encore au pow-wow en plein air, mais en appartement, forcément, non. Ça casse.

Pire : Et si j’étais tombé sur un zouf de zoophile, du genre « ami des animaux »!? Pis pas juste une couple de petits domestiqués, non! Des GROS, sauvages, pis en troupeau! Le concierge m’avait d’ailleurs prévenu: « Le bloc est infesté de souris. » Forcément, ça attire les éléphants…

Non, à l’entendre piocher à longueur de journée, j’ai presque fini par le prendre en pitié, mon infirme de voisin. Je dis ça comme ça, parce qu’il faut être sourd comme un pot-de-chambre pour pas s’entendre bardasser. Pis surtout pour écouter sa « noise ‘music' » dans le tapis à longueur de journée.

En tout cas, mon « handicapé » était pas amputé des deux jambes — oh no! Pour ça y devait en avoir plusieurs paires. Un vrai mille-patte! Pis pas chaussé en pantoufles, non monsieur. Sabots de Denver et talons hauts, le salaud!

À croire qu’y faisait du rodéo dans le salon, mon salaud d’en haut. Je me pensais au Stampede de Calgary! Pis y devait être pas mal bon, sinon ça fait longtemps qu’y se serait fait encorner. Dommage. Ça aurait ben pu calmer son bull.

D’ailleurs à l’entendre marteler le plancher à longueur de journée, je le pensais forgeron, ou maréchal-ferrant. Mais réflexion faite, non. Y avait rien d’un étalon, si vous voyez… L’heure, que dis-je, la minute du rut restait chez lui — et pour moi — la plus tranquille de la semaine. Seul hongre au tableau: même pas le temps d’apprécier la paix retrouvée qu’y ronflait déjà, mon prématuré de voisin.

Non, lui y s’envoyait pas en l’air. Y était plutôt du genre terre à terre: y faisait les cent pas… Minimum! Pareil comme dans la toune, tsé: Et tu marches, marches, marches, seul, dans la nuit… C’est ça! Pour moi Richard Séguin l’avait écrite pour son voisin d’en haut celle-là. Parce que le mien, pour marcher, y marchait!

D’ailleurs, c’est à peu près tout ce qui faisait. Pis pas juste seul dans la nuit, non! On aurait dit le branle-bas de combat d’une armée en marche forcée matin, midi, pis le soir aussi. Pareil la nuit — en pire! Malheureusement, ça devait rien que tourner en rond, sinon y se serait rendu loin, ben loin d’icitte, depuis le temps. Dommage, parce qu’un voisin qui part, c’est un voisin de moins… Jusqu’au prochain.

Jamais Seuls Ensemble

À l’entendre marcher de long en large à semaine longue, le mien avait l’air ben préoccupé à  »penser. » Pour moi y devait pas juste se creuser les méninges, parce que ça piochait pas rien qu’à peu près. On aurait dit un mineur qui se démenait au marteau-piqueur. Dommage qu’y soit pas tombé sur un filon jusque dans mon salon. J’y aurais exposé ma façon de fesser. « Casse-toi pu la tête! J’vas m’en charger. »

Non, à marcher de même, c’était sûrement pas pour réfléchir, parce qu’au nombre de pas qui faisait, y aurait ben fini par trouver. Parce que pour chercher, ça, y cherchait — pis pas juste le trouble! Ça y prenait des fois en plein milieu de la nuit. Y se mettait à fouiller partout, en prenant bien sûr bien soin de tout foutre en l’air, pis surtout par terre… Un vrai collectionneur!

À entendre mon voisin vider ses armoires, y avait du stock pour une armée. Sûrement un autre survivaliste paranoïaque… Ou pire encore: un de ces syllogomaniaques rompus à l’accumulation compulsive, aussi surnommée Syndrome de Diogène en hommage au philosophe grec qui refusa toute possession et préféra s’en aller vivre… dans un tonneau, toé!

Moi, la première nuit que je l’ai entendu bardasser comme ça, j’ai pensé Yes!, enfin, voilà tu pas mon cave qui a compris le message pis qui déménage dans son tonneau! Mais au bout d’une semaine de tapage, j’ai compris que… non! Y était là pour rester. Dommage. Très dommage…

Pire! Non seulement y partait pas, mais en plus, y sortait pas plus! À croire qu’y travaillait pas, mon maladroit. Normal, empoté comme y est, tu veux pas ça sur ton chantier… c’est ben trop risqué. Y échappait toute! Pis pas juste la petite cuiller, non; le tiroir, pis toute l’armoire au grand complet!

Pourtant, y devait ben avoir un métier, mon éclopé… J’sais pas moi… Peut-être un militaire de carrière, tsé: « Pas cadencé, marche! » Pis pas sur la pointe des pieds, non! « Talon, talon, TALON! » Hum… Ça doit être douloureux, ça… une fracture aux talons. Pour moi tu dois filer doux, après.

Chose certaine, y était pas artiste pour cinq cenne, mon capitaine. J’ai rien contre les peintres ou les écrivains… sauf si y tapent du pied. Ou à la dactylo. Le mien devait être un drummer raté, parce qu’il l’avait pas pantoute: y fessait fort, pis anyhow… N’importe comment, quoi! J’ai ben pensé à un danseur de claquette, ou de flamenco! Mais y manquait pas juste de tempo…

Non, au pire, mon artiste raté passait ses journées à jouer au Dance Dance Révolution… tsé sur place. D’ailleurs ça me donnait des idées… Je l’aurais bien fait valser avec mon revolver moi, comme dans le bon vieux temps du Far West : « Envoye, danse! Danse! » Pis entre nous, j’aurais ben pris soin de viser les genoux…

L’Heure des Comptes

Au début, j’osais pas trop y en parler. J’étais plutôt intimidé. À l’oreille, y avait l’air physiquement costaud. Pis mentalement, faut être dérangé pis pas rien qu’à moitié pour déranger les autres. On sait jamais… Mais au point où j’en étais, j’avais pu de vie pis pu rien à perdre : c’était lui, ou c’était moé.

On était mûr pour un duel. Trop c’est trop! Surtout après seulement une semaine de quarantaine. Du coup, j’me suis armé de courage, j’ai pris mon couteau à deux mains, au cas où, pis j’me suis élancé vers la sortie, question d’aller tirer tout ça au clair…

… Pour figer net pis m’effondrer sur le seuil au pied d’une armoires à glace de six pieds et deux cents livres de muscles. Vu qu’y frappait à ma porte au moment même où j’ouvrais pour sortir, c’est moi qui a mangé le coup en pleine poire!

Ben sonné les quatre fers en l’air, j’ai osé y demander entre deux saignées :

« T… t’es qui toé! »

« Ton nouveau voisin d’EN BAS! » qu’y m’a répondu. « Tu peux-tu moins mener de train, parce que sinon c’est pas le Covid qui va te tuer… »